Linguistique clinique et langue des signes française : Un modèle pour l’acquisition de la LSF et les troubles de la langue des signes
Caroline Bogliotti
Projet IUF 2017-2022
Mes activités de recherche visent à réaliser une synthèse interdisciplinaire entre une approche psycholinguistique, une approche de linguistique clinique et les neurosciences cognitives que j’applique désormais à la Langue des Signes Française (LSF). Depuis mon recrutement en tant que Maître de conférences (Université Paris Ouest Nanterre la Défense, en 2009), j’ai décidé de me concentrer sur les études en LSF. La LSF est peu connue des linguistes. Ce matériau » langue des signes » constitue un terrain d’investigation fertile du point de vue de la linguistique théorique et descriptive, de la psycholinguistique, de la linguistique clinique et des neurosciences cognitives. En ce qui concerne la linguistique de la langue des signes, la nature de certaines unités (comme les paramètres manuels et non manuels qui se combinent pour former un signe) est encore mal définie. Le défi de mon projet est de fournir des données empiriques avec des paradigmes psycholinguistiques, en utilisant des marqueurs électrophysiologiques objectivables afin de clarifier la nature linguistique de certaines unités en LSF.
Il y a un manque de recherche en psycholinguistique et en linguistique clinique sur la LSF, tant sur l’acquisition du langage que sur les troubles du langage chez les personnes signant en LSF. L’objectif à long terme de mes recherches est de combler cette lacune et de fournir des marqueurs spécifiques du développement du langage et des troubles du langage des signes (spécifiquement pour la LSF) pour la communauté clinique et scientifique.
Pour atteindre cet objectif, de nombreuses questions théoriques en linguistique doivent d’abord être clarifiées. Je vais tenter de résoudre ces questions grâce à mon expertise en psycholinguistique. L’analyse de ce langage visuo-gestuel (par opposition aux langages audio-phonatoires) est intéressante pour examiner les différentes théories linguistiques décrivant les langages vocaux (ci-après LV). Peut-on décrire les langues des signes (désormais LS) avec des modèles LV ? Un changement dans la substance du langage (c’est-à-dire la modalité gestuelle par rapport à la modalité vocale) modifie-t-il la structure du langage ? Les unités linguistiques spécifiques de la LV (c’est-à-dire les phonèmes) sont-elles identiques à celles de la LS ? Trop peu de linguistes nous donnent une réponse claire sur la phonologie des langues signées, sur la grammaticalisation de l’espace gestuel et les structures morphosyntaxiques qui sont déployées, sur l’influence de la langue vocale environnante dans le processus de création lexicale en LS, sur la manière d’analyser linguistiquement les structures iconiques, etc. De même, la psycholinguistique offre trop peu de réponses sur la trajectoire développementale du langage, sachant que le développement du langage est contraint par la maîtrise de la motricité des articulateurs grossiers (tronc, bras), puis fins (mains). D’autres questions se posent également quant à l’impact de la modalité gestuelle sur la cognition ou l’architecture neuronale : les circuits cérébraux impliqués dans le traitement du langage dans les LS sont-ils identiques à ceux impliqués dans le traitement des LV ? Enfin, on ne sait pas non plus si la LS a un impact sur la neuroplasticité : l’émergence de l’asymétrie hémisphérique observée dans l’acquisition d’une LV est-elle également observée pour les LS, et si oui, quelle est son évolution dans le temps ?
Ainsi, si nous souhaitons que la LS caractérise le développement et les troubles du langage d’un point de vue linguistique, nous devons d’abord disposer d’une description linguistique fine de la phonologie, de la morphologie, de la syntaxe et de la sémantique de la LSF. Ces questions ont des implications à la fois théoriques et empiriques, et un intérêt appliqué : ces recherches représentent un enjeu de société car elles ont des conséquences directes pour les professionnels et cliniciens (enseignants, orthophonistes, psychologues et neuropsychologues) en termes de diagnostic et de développement d’outils linguistiques. Ces outils leur permettent d’accompagner les apprenants et les patients dans l’enseignement du langage ou la réhabilitation langagière et cognitive.
Dans les années à venir, l’objectif général de mes recherches sera d’atteindre deux grands objectifs:
- Un premier objectif fondamental sera de proposer un modèle décrivant les différentes étapes de l’acquisition de la LSF, basé sur des données empiriques multidimensionnelles, à savoir des preuves comportementales et électrophysiologiques.
- Le second objectif, plus appliqué, fournira un outil pour l’évaluation et la remédiation du langage en LSF.
Indications manuelles et verbales dans l’accès lexical en langue des signes française : preuve de l’utilisation de la labialisation dans un paradigme d’amorçage signe-image.
Caroline Bogliotti et Frederic Isel
Bien que les langues des signes soient des langues gestuelles, il n’en reste pas moins que certaines informations linguistiques peuvent également être transmises par des composantes orales comme la labialisation. La labialisation tend généralement à reproduire la partie phonétique la plus pertinente du mot parlé équivalent correspondant au signe manuel. Par conséquent, une question cruciale en langue des signes est de comprendre si la labialisation fait partie des signes eux-mêmes ou non, et dans quelle mesure elle contribue à la construction du sens des signes. Une autre question est de savoir si les modèles de labialisation constituent un indice phonologique ou sémantique dans l’entrée du signe lexical. Cette étude visait à étudier le rôle de la labialisation sur le traitement des signes lexicaux en Langue des Signes Française (LSF), en fonction du type de bilinguisme (intramodal vs. bimodal). Dans ce but, une expérience comportementale de décision lexicale signe-image a été conçue. Les signeurs intramodaux (adultes sourds natifs) et les signeurs bimodaux (adultes entendants fluides) doivent décider le plus rapidement possible si une image correspond au signe vu juste avant. Nous avons créé cinq conditions expérimentales dans lesquelles la paire signe-bouche était congruente ou incongruente. Nos résultats ont montré un fort effet d’interférence lorsque l’appariement signe-mot était incongru, ce qui se traduit par des taux d’erreur plus élevés et des temps de réaction plus longs que dans la condition congruente. Ce résultat suggère que les deux groupes de signeurs utilisent les informations lexicales disponibles contenues dans la labialisation pour accéder à la signification du signe. En outre, les signeurs sourds intramodaux ont été fortement perturbés par rapport aux signeurs entendants bimodaux. Dans l’ensemble, nos données indiquent que la labialisation est un facteur déterminant dans l’accès lexical à la LSF, spécifiquement chez les signeurs sourds.
Base de données psycholinguistiques du lexique LSF
En français comme dans beaucoup d’autres langues vocales, une quantité d’informations psycholinguistiques concernant le lexique en termes de fréquence lexicale, de familiarité, de concrétude, d’imageabilité, d’âge d’acquisition, etc a déjà été recueillie et est répertoriée.
En Langue des Signes Française, il n’existe à ce jour pas de normes psycholinguistiques. Notre projet : créer la première base de données psycholinguistiques du lexique LSF : FLexSign.
Pour avoir plus d’informations ou pour participer, n’hésitez pas à nous contacter : flexsign.lsf@gmail.com