Indications manuelles et verbales dans l’accès lexical en langue des signes française : preuve de l’utilisation de la labialisation dans un paradigme d’amorçage signe-image.
Caroline Bogliotti et Frédéric Isel
Bien que les langues des signes soient des langues gestuelles, il n’en reste pas moins que certaines informations linguistiques peuvent également être transmises par des composantes orales comme la labialisation. La labialisation tend généralement à reproduire la partie phonétique la plus pertinente du mot parlé équivalent correspondant au signe manuel. Par conséquent, une question cruciale en langue des signes est de comprendre si la labialisation fait partie des signes eux-mêmes ou non, et dans quelle mesure elle contribue à la construction du sens des signes. Une autre question est de savoir si les modèles de labialisation constituent un indice phonologique ou sémantique dans l’entrée du signe lexical. Cette étude visait à étudier le rôle de la labialisation sur le traitement des signes lexicaux en Langue des Signes Française (LSF), en fonction du type de bilinguisme (intramodal vs. bimodal). Dans ce but, une expérience comportementale de décision lexicale signe-image a été conçue. Les signeurs intramodaux (adultes sourds natifs) et les signeurs bimodaux (adultes entendants fluides) doivent décider le plus rapidement possible si une image correspond au signe vu juste avant. Nous avons créé cinq conditions expérimentales dans lesquelles la paire signe-bouche était congruente ou incongruente. Nos résultats ont montré un fort effet d’interférence lorsque l’appariement signe-mot était incongru, ce qui se traduit par des taux d’erreur plus élevés et des temps de réaction plus longs que dans la condition congruente. Ce résultat suggère que les deux groupes de signeurs utilisent les informations lexicales disponibles contenues dans la labialisation pour accéder à la signification du signe. En outre, les signeurs sourds intramodaux ont été fortement perturbés par rapport aux signeurs entendants bimodaux. Dans l’ensemble, nos données indiquent que la labialisation est un facteur déterminant dans l’accès lexical à la LSF, spécifiquement chez les signeurs sourds.